Bras bandés, plâtres aux pieds, béquilles à la main, les plus fatigués, allongés sur des civières. L’image saisissante a tout son sens ce 20 novembre 2023. Devant l’administration de Sosucam à Nkoteng à une centaine de kilomètres de Yaoundé, des dizaines de travailleurs saisonniers sont venus présenter à l’entreprise, leur nouvel état physique. Une métamorphose du fait de différents accidents de travail. Lesquels ont brisé les rêves de plusieurs d’entre eux. Des personnes pour la plupart à la fleur de l’âge.
L’autre message était de dénoncer, ce qu’ils qualifient d’injustice et demander des postes adaptés à leur situation d’invalidité. Bien plus, à travers des pendards, on pouvait lire des messages appelant à leurs prises en charge complète et leur indemnisation.
Réunis au sein du STRASCAS, le Syndicat des Travailleurs Saisonniers de la Filière Canne à Sucre de la Haute Sanaga, les saisonniers de l’agroalimentaire français racontent leur martyr. «Depuis mon accident, j’ai en permanence mal à la tête et à la poitrine. Il arrive que mon front enfle tout seul quand je me réveille le matin. En plus, j’ai par moment des fuites de mémoire. Je ne plus tenir une charge de 5Kg à main droite», confie Christine, l’une des victimes de l’accident du bus de la Sosucam le 8 avril 2023.
Le jour où ma vie a basculé
Le 8 avril 2023, un bus transportant 70 planteuses de canne à sucre de retour de la plantation se renverse. 35 personnes sont blessées, dont deux grièvement. Dans un rapport intitulé « accidents de travail à répétition dans les plantations de cannes à sucre: une prise en charge défaillante des travailleurs saisonniers de la Sosucam», le STRASCAS accuse l’excès de vitesse, comme l’un des mobiles à l’origine de cet accident.
D’après ce syndicat, aucune des victimes n’estime avoir été prise en charge de « manière totalement satisfaisante ». Le rapport dénombre aussi une centaine d’accidents de travail au cours de la saison de planting écoulée (novembre 2022-juin 2023).
Les données collectées par le syndicat auprès de ces travailleuses accidentées entre mai et septembre 2023, révèlent qu’à peine 10% auraient été prises en charge de manière complète.
A Nkoteng et Mbandjock, les deux villes qui abritent des usines de la sosucam, les victimes croupissent sous une double peine. L’accident et l’invalidité entrainent la perte du travail de coupe de canne. La règle n’est pas écrite, mais le principe est appliqué sur le terrain, confie une victime. Car, la coupe de canne et le planting sont des tâches qui nécessitent une aptitude physique de la part du travailleur. Mais pire encore, l’invalidité liée à l’accident de travail n’est pas toujours suivie d’un dédommagement, question de réparer séquelles.
Dans son rapport 2019 sur le Développement Durable, le groupe SOMDIAA filiale du géant Castel, et propriétaire de Sosucam, a recensé pour la seule année 2019, environ 649 accidents de travail avec arrêt d’activité pour les victimes, dans ses 12 filiales, dont 6 orientées dans la plantation de canne à sucre.
Un travail de misère
La plupart des travailleurs saisonniers à Sosucam vivent dans la misère. Selon les chiffres officiels, sur les 8000 personnels que compte la société sucrière du Cameroun, environ 7000 ont un statut de temporaires, saisonniers essentiellement, ou journaliers. Payés à la tâche, ces derniers restent vulnérables. Pas de sécurité sociale pour certains, conditions de travail difficiles pour d’autres. La sécurité maladie reste aussi une autre paire de manche. Le travail des manœuvres agricoles est difficile, et les métiers au sein de la plantation de canne à sucre particulièrement exposés aux risques. Ainsi, près de 70 victimes d’accidents rencontrées par le STRASCAS, le Syndicat des Travailleurs Saisonniers de la Filière Canne à Sucre de la Haute Sanaga, affirment que « les coupures graves des machettes ou des dabas, les accidents de transport, les foulures, les éclats de cannes dans les yeux, les malaises dus à la chaleur » sont les accidents ou des cas les plus fréquents.
« Plusieurs victimes témoignent ne pas avoir perçu d’indemnités journalières pendant la période d’incapacité, d’autres victimes d’incapacité permanente n’ont pas perçu l’allocation correspondante, d’autres encore ont dû payer elles-mêmes les soins résultants de l’accident du travail, s’endettant parfois pour cela ou ne pouvant plus envoyer leurs enfants à l’école », lit-on dans le rapport. Des allégations qui nous ont été difficiles de vérifier auprès de la direction de Sosucam.
Cependant, sur son site officiel de l’entreprise, le groupe Somdiaa auquel appartient Sosucam relève l’évolution de sa RSE. « Le périmètre du groupe a beaucoup évolué depuis son origine. Au fur et à mesure de son développement, le groupe s’est confronté à ses forces, mais également à ses faiblesses et s’attache aujourd’hui à intégrer, au travers de sa démarche de responsabilité sociétale, l’ensemble des enjeux et priorités qui sont les siens, dans une dynamique de progrès continu ».
Installée au Cameroun depuis 1975, la Société Sucrière du Cameroun exploite 24 694 hectares de cannes à sucre dans le département de la Haute Sanaga au Cameroun.
Jean Charles Biyo’o Ella